Un cœur simple
EAN13
9789999998055
Éditeur
NumiLog
Langue
français
Fiches UNIMARC
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Un cœur simple

NumiLog

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Le pharmacien lui apprit que le bateau de Victor était arrivé à La Havane. Il
avait lu ce renseignement dans une gazette.

À cause des cigares, elle imaginait La Havane un pays où l'on ne fait pas
autre chose que de fumer, et Victor circulait parmi les nègres dans un nuage
de tabac. Pouvait-on « en cas de besoin » s'en retourner par terre ? À quelle
distance était-ce de Pont-l'Évêque ? Pour le savoir, elle interrogea M.
Bourais.

Il atteignit son atlas, puis commença des explications sur les longitudes ; et
il avait un beau sourire de cuistre devant l'ahurissement de Félicité. Enfin,
avec son porte-crayon, il indiqua dans les découpures d'une tache ovale un
point noir, imperceptible, en ajoutant : « Voici. » Elle se pencha sur la
carte ; ce réseau de lignes coloriées fatiguait sa vue, sans lui rien
apprendre ; et Bourais l'invitant à dire ce qui l'embarrassait, elle le pria
de lui montrer la maison où demeurait Victor. Bourais leva les bras, il
éternua, rit énormément ; une candeur pareille excitait sa joie ; et Félicité
n'en comprenait pas le motif, – elle qui s'attendait peut-être à voir jusqu'au
portrait de son neveu, tant son intelligence était bornée. Ce fut quinze jours
après que Liébard, à l'heure du marché comme d'habitude, entra dans la
cuisine, et lui remit une lettre qu'envoyait son beau-frère. Ne sachant lire
aucun des deux, elle eut recours à sa maîtresse.

Mme Aubain, qui comptait les mailles d'un tricot, le posa près d'elle,
décacheta la lettre, tressaillit, et, d'une voix basse, avec un regard profond
:

– « C'est un malheur... qu'on vous annonce. Votre neveu... » Il était mort. On
n'en disait pas davantage.

Félicité tomba sur une chaise, en s'appuyant la tête à la cloison, et ferma
ses paupières, qui devinrent roses tout à coup. Puis, le front baissé, les
mains pendantes, l'oeil fixe, elle répétait par intervalles :

– « Pauvre petit gars ! pauvre petit gars ! » Liébard la considérait en
exhalant des soupirs. Mme Aubain tremblait un peu.

Elle lui proposa d'aller voir sa soeur, à Trouville.

Félicité répondit, par un geste, qu'elle n'en avait pas besoin.

Il y eut un silence. Le bonhomme Liébard jugea convenable de se retirer.

Alors elle dit :

– « Ça ne leur fait rien, à eux ! »

Sa tête retomba ; et machinalement elle soulevait, de temps à autre, les
longues aiguilles sur la table à ouvrage.

Des femmes passèrent dans la cour avec un bard d'où dégouttelait du linge.

En les apercevant par les carreaux, elle se rappela sa lessive ; l'ayant
coulée la veille, il fallait aujourd'hui la rincer ; et elle sortit de
l'appartement.

Sa planche et son tonneau étaient au bord de la Toucques. Elle jeta sur la
berge un tas de chemises, retroussa ses manches, prit son battoir ; et les
coups forts qu'elle donnait s'entendaient dans les autres jardins à côté. Les
prairies étaient vides, le vent agitait la rivière ; au fond, de grandes
herbes s'y penchaient, comme des chevelures de cadavres flottant dans l'eau.
Elle retenait sa douleur, jusqu'au soir fut très brave ; mais, dans sa
chambre, elle s'y abandonna, à plat ventre sur son matelas, le visage dans
l'oreiller, et les deux poings contre les tempes.
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