Mirontaine sta leggendo

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Professeure des écoles par correspondance et lectrice passionnée autant en littérature de jeunesse qu’en littérature générale.

Roman

Mercure de France

19,50
1 mars 2023

Rechercher : Cécile balavoine
16 avril 2017
Maestro De Cécile Balavoine.

"Qui suis-je, que suis-je dans votre vie? L'objet d'un désir passager? Une femme dont vous direz un jour que vous l'avez aimée? Est-il possible de n'aimer qu'une seule femme?"
Le quatuor des dissonances. Köchel 465. Les croches angoissées du violoncelle. Les terreurs nocturnes des deux violons et de l'alto. Et les phrases ténébreuses de celle qui voue une tendre passion pour Mozart depuis sa prime enfance. La pulsation irrésistible des phrasés qui s'envolent. Et toi lecteur tu entends la musique, les mots prennent vie dans ce corps de femme, les notes s'envolent du livre dans un esprit de recueillement. L'âme amoureuse fugue au-delà des pages et des chapitres.
La naissance d'une grâce, celle du sentiment amoureux comme un supplément d'âme entre Cécile et le maestro.
L'écriture tel un legato, sans rupture ni temps mort, offre une intensité modulée du sentiment amoureux. L'amour comme la musique ne s'épuisent jamais sous la plume de Cécile Balavoine. Une extraordinaire mélodie sourd des mots. Une partition littéraire de toute beauté, refermée comme à la dernière note d'un concert envoûtant avec un profond silence. Après Mozart, Le silence qui suit est encore du Mozart.
Exsultate jubilate des deux corps dans l'étreinte fulgurante, plongés dans les draps brûlants. Les yeux ouverts dans la nuit. Cet homme de l'autre côté de la vie qui feuillette son visage après chaque concert. La lente passion, les heures ardentes au chevet des notes et le visage de celle qui aime dans cette vie où on ne peut rien faire qu'échouer...
Le manque devient lumière au fil des pages. Cécile revient du passé, enlève les briques du mur du temps pour offrir une définition satisfaisante de l'amour. L'abandon de l'homme aimé après chaque concert est un tremblement de terre que la bête du cœur tente d'apaiser.
Les vaines paroles sur l'amour s'éteignent et le Requiem explose.

LIEN PERMANENT COMMENTAIRE
10 avril 2020
Une Fille De Passage De Cécile Balavoine

Le mot amour renvoie à une pluralité de sentiments, qui diffèrent tant par leur objet que par leur finalité. Le seul point commun serait de porter le sujet vers un objet admis comme bon.

Vers qui se tourne la jeune Cécile, étudiante à New-York en 1997, lorsqu’elle assiste aux ateliers d’écriture de Serge Doubrovsky? Galatée en recherche d’un père de substitution qui n’attendait rien d’autre cette année-là qu’il la voie.

Serge Doubrovsky est un grand critique littéraire dont le nom apparaissait dans mes cours de lettres. Il s’est ingénié à passer au travers des mailles du filet théorique tissé dans Le Pacte autobiographique de Philippe Lejeune. Il inaugure l’autofiction où la fiction d’évènements et de faits strictement réels s’entremêlent. La jeune étudiante cherche docilement à percer le néologisme, là où à la manière de Goethe dans Poésie et Vérité, les éléments référentiels s’entrechoquent sur les éléments inventés. Quelle est la part de vérité dans le champ littéraire des textes de Serge lorsqu’ils portent l’indication générique de roman ?

« Ce rythme saccadé , ces jeux de mots, ces phrases qui se succédaient sans une virgule, sans même un point, sans une respiration, les majuscules soudain, et puis les longs blancs sur la page, les abysses, le brutal, enfin la densité encore, étouffante et opaque, tout cela m’avait giflée, bousculée, tout cela m’avait repoussée. J’allais abandonner. »

« C’était donc lui, cet homme que j’avais tenu pour mort, dont j’avais cru qu’il n’existait qu’entre les pages de livres écornés, dans des rayons de bibliothèques obscures. C’était troublant de le voir enfin, après m’être délectée de ses tragédies, de ses frasques et de ses ébats, au bord d’une piscine, dans un jardin, dans des trains, entre mes draps, sur des bancs. Quand sa voix avait résonné, pour annoncer le programme de son cours, m’étaient venues des images de ses mains sur des seins dénudés, des échos de ses querelles conjugales, des injures proférées dans des nuits sans sommeil. »

L’intrication de la littérature et de la vie pousse parfois un maître et son élève à se voir en dehors des cours. Ils parleront de leur passion commune pour l’Autriche, d’Ilse l’aimée disparue qui hante la jeune locataire, installée depuis peu dans l’appartement du maître, de Freud parce qu’il abordait toujours la littérature au regard de la psychanalyse. Le récit de l’analyse semble avoir fait peser la constante menace d’un viol de l’intériorité. Serge au fil des entrevues avec son étudiante confiera l’aveu allègre de ce que fait toute écriture sur soi.

« Et puis, sans me quitter des yeux, lentement, du plat de la main, il avait parcouru mon bras depuis l’épaule jusqu’au poignet. Votre peau est soyeuse. Je sentais la pression de ses doigts qui glissaient sur ma chair, son regard immobile. Elle est ferme et soyeuse. J’avais baissé la tête. Vous êtes si jeune. Et j’avais frissonné. »

Serge Doubrovsky, au-delà d’une étudiante, rencontre une personne. Cécile tait la peur que sa vie ne s’entrelace malgré elle à la sienne, et à celle de sa femme, l’aimée, morte. Elle la sent rôder entre les livres, auprès de son lit et s’approcher dans la nuit. Étonnement naïf de la jeune femme face au sentiment naissant.

L’homme garde des amitiés féminines quand il perd des amours. Il devient confident commode. Il donne le vertige face à l’imprudence des échanges. Certaines choses durent quand le reste s’évanouit. Une femme pour un homme c’est d’abord un miroir, ensuite parfois un piège, ou simplement une femme de passage.

Elle attend ses lettres. Les lettres de Serge Doubrovsky. Elle trouve dans la psychanalyse du docteur Wozniack, non pas un sujet, mais une forme pour renouveler le discours sur soi.

Plus d’enchaînement linéaire, l’écriture de Cécile Balavoine progresse par une série d’associations, les lignes de force de la vie intérieure sont dégagées et regroupées sous l’infinie tendresse qu’elle éprouve pour son maître à penser. L’écriture permet d’élever ses médiocrités secrètes au rang de la beauté. Elle écrit, à sa mesure, sa part de sécession par rapport au monde dans ce lien si singulier au fil des années avec l’homme qui pourrait être son père. Quel est l’avenir d’une illusion?

L’écriture est un séisme intérieur comme un fragile édifice pour honorer l’homme et donner de la mémoire aux souvenirs. Lire le roman de Cécile Balavoine c’est se rendre disponible à la beauté d’une relation. Elle donne de l’amplitude aux souvenirs et nous entrons, nous lecteurs et lectrices, dans la chair des choses. « Chair Serge » , préambule des lettres à sa demande. Au fil des pages, nous retrouvons la vérité des sensations inscrites en soi, la nuance d’une couleur, la raucité d’une voix, la précision des gestes. Serge Doubrovsky traverse la vie de Cécile avec un visage sans réponse jusqu’à sa mort.

Les mots de Cécile Balavoine ont une touche de sang sur le cœur et forment un texte d’une singulière beauté.

Une Fille de passage de Cécile Balavoine, Mercure de France, Mars 2020.

21,00
1 mars 2023

Certains livres sont habités d'un souffle furtif et mystérieux. Au revers de la nuit de Cécile Balavoine explore la possibilité d'une rencontre à l'heure où nous sommes pressés de vivre. Hiver 1996, un éclat affleure dans la vie de Cécile, lors d'un voyage en train. La narratrice se rend à Brattleboro, dans le Vermount. Un homme ténébreux et élégant entre dans le wagon et Cécile attend que se révèle et se déploie l'âme qu'elle pressent et entrevoit déjà. Un sourire fugace mais transfigurant, un silence tinte là où le lecteur apprend à écouter les traces d'un amour dormant, à se tendre vers l'invisible des lieux , à sonder l'ineffable du lien qui unit Sasha et Cécile. La narration devient une forme frôlée, un appel murmuré où l'ordinaire d'un amour trouve une résonance inattendue. Les phrases sont picturales, teintées de mélancolie, parfois marquées de tragique, toutes empreintes d'acuité. Des apostrophes pudiques adressées à l'absent, toujours irradiant de présence, Sasha, l'homme aimé disparu. Sa disparition sonne l'heure blême et grise, au creux d'un avion. La narratrice reste au sol. Les vapeurs s'exhalent des bouches, elles cherchent à rejoindre le dernier souffle, celui que le virtuose des cocktails vient de rendre. Certains chagrins supportent la poigne du langage lorsque la littérature a ce pouvoir de ressusciter les êtres. Le malheur est parfois fécond : en luttant contre l'absence, on devine les signes discrets d'un passage. Ni interprétation mystique, ni effet de croyance, Cécile cisaille les mots pour retenir l'âme qui s'en va et le besoin affolant de son énigme. Cécile absentée, ravie, soustraite ravive la mémoire de Sasha. Ce roman suggère une échappée troublante dans la rupture silencieuse et intérieure sous les remous des pages lorsque les rumeurs de la ville parviennent confusément. La nuit fait barrage à la vérité confiée, à la présence dans l'absence, à fleur de l'éphémère.

10,00
7 avril 2022

C'est un petit livre délicat cousu d'un fil rouge. Il est composé de volutes, de traits décousus, de petites marches qu'une fillette tente de gravir. Aux filles du conte. Celles dont on a lu toutes les histoires, de petites silhouettes craintives, rêveuses, amoureuses. Celles que l'on muselle pour mieux les asujettir. Pourtant, la fille du conte " n'a pas demandé les serrures".
C'est un petit livre que j'ai relu plusieurs fois parce qu'il stylise les émotions. La lecture peut introduire à un surcroît de vigilance et de réflexion.
On s'arrache à l'illusion référentielle des contes. Un petit pas de côté dans l'épaisseur du langage. Les filles du conte nous offrent à lire dans la gueule du loup.
Ce petit livre est un support de possibilités créatrices. Les illustrations de Frédérique Bertrand instaurent une lecture mais aussi un enrichissement et la révélation d'un envers des contes. Elles s'emparent des jolis mots de Thomas Scotto, du déroulement de l'écriture pour en faire un écheveau que leur graphisme dénouera. L'image est creatrice d'existence, là où le texte souligne la volonté de négation où l'on a trop souvent enfermé les filles du conte.
Ce petit livre offre une émouvante retrouvaille avec la fillette et son potentiel d'action.
Avec certains livres, on développe un rapport affectif sans doute plus immédiat. Ce petit livre écrit par Thomas Scotto, publié aux éditions du Pourquoi pas entraîne un surplus de sens et d'affect, de rêverie qui danse sur chaque mot, chaque image. C'est un beau livre qui est de l'ordre du vivant, du mouvement, du désir, de l'expérience ressentie et commune.
Je souhaite vivement que le lecteur dans l'entre-deux du texte et des illustrations cherche à placer sa propre voix, son imagination et ses affects.
Merci aux auteurs de rendre visible et lisible avec délicatesse la mobilité temporelle de naître fille.

19 octobre 2021

En ouvrant ce nouveau livre de Paola Pigani,  retraçant  l'arrivée en France d'une jeune hongroise c'est ce tableau d'Angelo Tommasi Gli emigranti qui se déploie.

La fiction est ce qui reste pour combler les silences d'une génération à l'autre. Paola Pigani raconte le tempo commun d'un groupe d'ouvriers exilés d'Italie et de Hongrie. Sjonza, Elsa, Bianca, Marco sont comme les vêtements d'une même lessive  qu'emporte le tambour de l'industrie textile  au début du XXème siècle.  Ils sont une même masse textile qui tourne et tourne encore,  chaque dimanche,  au bord de la Rize.

Les saisons rythment la narration,  les gestations, les fêtes dominicales  à  la cadence des machines de production du viscose.

Le filage s'associe au verbe, liant la fibre tant à la matérialité du monde qu'à des strates plus symboliques.  Les " petites Italies" réinventent une identité locale près de l'usine.  Le groupe habite un temps cyclique,  sans cesse répété dans l'atelier.  Chacun accomplit ensemble les boucles du temps: de l'insoumission à l'avènement du Front populaire.
Le fil de narration véhicule fonction et signe de l'immigration. On comprend la matière,  sa provenance et sa finitude. L'industrie textile exerce une influence profonde sur les cadres mentaux  des immigrés,  rejetés, insultés, discriminés.
Le viscose porte le monde en tous sens à la Tase. Il naît d'une tige si grêle que l'on tresse , non intacte mais brisée,  broyée et réduite par la violence,  comme celle que l'on impose au corps ouvrier.
Toute la langue de Paola Pigani sur le tissage et le monde de l'usine se fait métaphore pour expliquer le fragile équilibre des forces qui sied au groupe. Un terreau fertile à la division au travail de chaque protagoniste.  Ce texte est un subtil équilibre des tensions à l'oeuvre dans la science combinatoire de la politique du Front populaire.  C'est la fusion des contraires où le faible et le fort s'affrontent pour un vivre ensemble plus harmonieux.

Sjonza ajuste son corset,  non celui de la rigidité des contremaîtres ou d’ un mari, mais bel et bien celui de la liberté.

Éditions du Pourquoi pas

13,00
29 septembre 2021

Parfois certains livres vous arrivent, et vous aimantent. Les illustrations d'Anouk Alliot et Seunghee Choi, toutes de bleu et rose,  m'ont transportée. J'ai ouvert cet album souple, intriguée par le graphisme et le choix des couleurs.  Les couleurs binaires bleu et rose alternent d'une page à l'autre.  Le bleu des vagues comme celui de la  crise affleure. Il a grandi en pointillés sur la double page et vient nous confier son histoire. La différence du monde qu'il perçoit et la fragilité des choses.  Son humeur instable lorsqu'" Il tend la main pour saisir ce qu'il désire ou croit désirer,  et ce qu'il touche ne correspond pas du tout."

Les signaux du langage lui font défaut et le dessin se destructure. Figures géométriques des visages masques et le halo rose de la mère bienveillante.

"Coeur battant,  vagues lisses. "

Son cerveau met plus de temps à lire les images et les visages.  Tout lui paraît faux. Le bleu de la mer imbibe la page et ses idées. L'imaginaire dit si bien le trouble de la bipolarité.
Et puis le rose quiétude revient,  doucement,  par petites touches.

 " Il voudrait tout plutôt qu'être lui".

Il est "une identité mutante" nous confie Catherine Grive. Elle redonne la parole au naufragé. Son malheur est réel et plastique. L'armure est si frêle. Il oscille sur les vagues,  de crise en crise.
Un album pour ressentir et semer. Ce livre est une traversée dans le monde de la bipolarité,  celle que j'accompagne pour certains élèves descolarisés.
C'est un beau projet d'écriture  en partenariat avec l'association Bipolaire ? Si Tu Savais et l'Ecole d'art d'Epinal.

La littérature de jeunesse est gracieuse lorsqu'elle est contenue dans un si bel écrin.