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**
III
**
**LE _CONFITEOR_ DE L'ARTISTE**
Que les fins de journées d'automne sont pénétrantes ! Ah ! pénétrantes jusqu'à
la douleur ! car il est de certaines sensations délicieuses dont le vague
n'exclut pas l'intensité ; et il n'est pas de pointe plus acérée que celle de
l'Infini.
Grand délice que celui de noyer son regard dans l'immensité du ciel et de la
mer ! Solitude, silence, incomparable chasteté de l'azur ! une petite voile
frissonnante à l'horizon, et qui par sa petitesse et son isolement imite mon
irrémédiable existence, mélodie monotone de la houle, toutes ces choses
pensent par moi, ou je pense par elles (car dans la grandeur de la rêverie, le
_moi_ se perd vite !) ; elles pensent, dis-je, mais musicalement et
pittoresquement, sans arguties, sans syllogismes, sans déductions.
Toutefois, ces pensées, qu'elles sortent de moi ou s'élancent des choses,
deviennent bientôt trop intenses. L'énergie dans la volupté crée un malaise et
une souffrance positive. Mes nerfs trop tendus ne donnent plus que des
vibrations criardes et douloureuses.
Et maintenant la profondeur du ciel me consterne ; sa limpidité m'exaspère.
L'insensibilité de la mer, l'immuabilité du spectacle, me révoltent... Ah !
faut-il éternellement souffrir, ou fuir éternellement le beau ? Nature,
enchanteresse sans pitié, rivale toujours victorieuse, laisse-moi ! Cesse de
tenter mes désirs et mon orgueil ! Létude du beau est un duel où lartiste
crie de frayeur avant dêtre vaincu.
**IV**
**UN PLAISANT**
C'était l'explosion du nouvel an : chaos de boue et de neige, traversé de
mille carrosses, étincelant de joujoux et de bonbons, grouillant de cupidités
et de désespoirs, délire officiel d'une grande ville fait pour troubler le
cerveau du solitaire le plus fort.
Au milieu de ce tohu-bohu et de ce vacarme, un âne trottait vivement, harcelé
par un malotru armé d'un fouet.
Comme l'âne allait tourner l'angle d'un trottoir, un beau monsieur ganté,
verni, cruellement cravaté et emprisonné dans des habits tout neufs, s'inclina
cérémonieusement devant l'humble bête, et lui dit, en ôtant son chapeau : « Je
vous la souhaite bonne et heureuse ! » puis se retourna vers je ne sais quels
camarades avec un air de fatuité, comme pour les prier d'ajouter leur
approbation à son contentement.
L'âne ne vit pas ce beau plaisant, et continua de courir avec zèle où
l'appelait son devoir.
Pour moi, je fus pris subitement d'une incommensurable rage contre ce
magnifique imbécile, qui me parut concentrer en lui tout l'esprit de la
France.
III
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**LE _CONFITEOR_ DE L'ARTISTE**
Que les fins de journées d'automne sont pénétrantes ! Ah ! pénétrantes jusqu'à
la douleur ! car il est de certaines sensations délicieuses dont le vague
n'exclut pas l'intensité ; et il n'est pas de pointe plus acérée que celle de
l'Infini.
Grand délice que celui de noyer son regard dans l'immensité du ciel et de la
mer ! Solitude, silence, incomparable chasteté de l'azur ! une petite voile
frissonnante à l'horizon, et qui par sa petitesse et son isolement imite mon
irrémédiable existence, mélodie monotone de la houle, toutes ces choses
pensent par moi, ou je pense par elles (car dans la grandeur de la rêverie, le
_moi_ se perd vite !) ; elles pensent, dis-je, mais musicalement et
pittoresquement, sans arguties, sans syllogismes, sans déductions.
Toutefois, ces pensées, qu'elles sortent de moi ou s'élancent des choses,
deviennent bientôt trop intenses. L'énergie dans la volupté crée un malaise et
une souffrance positive. Mes nerfs trop tendus ne donnent plus que des
vibrations criardes et douloureuses.
Et maintenant la profondeur du ciel me consterne ; sa limpidité m'exaspère.
L'insensibilité de la mer, l'immuabilité du spectacle, me révoltent... Ah !
faut-il éternellement souffrir, ou fuir éternellement le beau ? Nature,
enchanteresse sans pitié, rivale toujours victorieuse, laisse-moi ! Cesse de
tenter mes désirs et mon orgueil ! Létude du beau est un duel où lartiste
crie de frayeur avant dêtre vaincu.
**IV**
**UN PLAISANT**
C'était l'explosion du nouvel an : chaos de boue et de neige, traversé de
mille carrosses, étincelant de joujoux et de bonbons, grouillant de cupidités
et de désespoirs, délire officiel d'une grande ville fait pour troubler le
cerveau du solitaire le plus fort.
Au milieu de ce tohu-bohu et de ce vacarme, un âne trottait vivement, harcelé
par un malotru armé d'un fouet.
Comme l'âne allait tourner l'angle d'un trottoir, un beau monsieur ganté,
verni, cruellement cravaté et emprisonné dans des habits tout neufs, s'inclina
cérémonieusement devant l'humble bête, et lui dit, en ôtant son chapeau : « Je
vous la souhaite bonne et heureuse ! » puis se retourna vers je ne sais quels
camarades avec un air de fatuité, comme pour les prier d'ajouter leur
approbation à son contentement.
L'âne ne vit pas ce beau plaisant, et continua de courir avec zèle où
l'appelait son devoir.
Pour moi, je fus pris subitement d'une incommensurable rage contre ce
magnifique imbécile, qui me parut concentrer en lui tout l'esprit de la
France.
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