Cette nuit, Roman

Joachim Schnerf

Zulma

  • 8 mai 2020

    Il est immensément beau ce livre. Il s’ouvre sur le réveil de Salomon, le patriarche d’une famille amputée de la présence de Sarah. Sa femme est décédée deux mois plus tôt.
    Nous sommes à quelques heures du Seder, rituel juif hautement symbolique propre à la fête de Pessa'h, visant à faire revivre à ses participants, en particulier les enfants, l'accession soudaine à la liberté après les années d'esclavage en Égypte des enfants d'Israël.
    Comme toutes les réunions de famille, celle que s’apprêtent à vivre Salomon, ses deux filles Denise et Michelle, avec leurs époux respectifs et leurs enfants, renferme un fort pouvoir cathartique.
    « Ma famille était belle. Avec ses défauts programmés et ses surprises. »
    Nous assistons à cette fête narrative où les épisodes s’enchaînent entre réminiscences et l’ordre de la soirée de Pessah. Pour le lecteur profane, on vit pleinement la fête comme un partage de rituels et de confidences familiales.
    La nuit du Seder est celle de la narration et des questions. Parallèlement au récit de la sortie d’Egypte, Salomon confronte l’histoire familiale composée de caractères qui entrent en dissidence. La galerie des personnages est haute en couleurs, avec des portraits assez fantasques que vient conforter l’humour si singulier de Salomon. Le patriarche est un personnage intense. Il a perdu toute sa famille dans les camps. Quand le parquet grince, Salomon pense que les nazis reviennent. A la naissance de sa première fille, il se pose la question de faire naître un enfant dans ce monde.Son humour concentrationnaire permet de mettre des mots sur l’indicible. Au détour d’un jeu de mots, Salomon parle d’Auschwitz.
    Ce texte de Joachim Schnerf est le livre des jours heureux du couple formé par Salomon et Sarah. La nostalgie est omniprésente mais de manière lumineuse. Sarah est la présente absence du texte, elle vit dans chaque parfum des plats du Seder. Tous les mets renvoient à la figure maternelle.

    L’écriture se veut exutoire et devoir de mémoire. Et c’est à ses petits enfants que Salomon parvient le mieux à transmettre.
    « Michelle est incapable de partager ses émotions, même les plus belles. Moi non plus, je n’ai jamais prononcé ces phrases qu’un enfant craint autant qu’il les désire. Tu me manques. Tu es tout pour moi. Je t’aime. Je n’ai jamais pu articuler ces paroles à leur oreille, ni exprimé le bonheur , ni la fierté, ni le manque. C’est comme si mes mots avaient sauté une génération, entre Sarah et mes petits-enfants. Rien à mes propres filles. »